Comment Swile a atteint la rentabilité grâce à des achats stratégiques
Lorsque Swile, la société fintech française fondée en 2018, a annoncé son premier trimestre bénéficiaire, cela a marqué une étape significative.
Lorsque Swile, la fintech française fondée en 2018, a annoncé son tout premier trimestre bénéficiaire, cela a marqué une étape clé dans le parcours de l’entreprise. Derrière cette réussite se cache une histoire révélatrice : celle de la manière dont les achats stratégiques peuvent devenir un levier puissant de transformation. Dans un récent épisode du podcast Recommandes, Éric et Kevin, responsables achats chez Swile, ont partagé leur méthode pour bâtir une fonction achats qui ne se contente pas de réduire les coûts, mais qui porte l’excellence organisationnelle.
La tempête parfaite : quand les achats deviennent vitaux
L’aventure achats de Swile commence en 2022, à un moment charnière. L’entreprise finalisait l’acquisition de son principal concurrent, Bimpli, tout en affrontant un contexte de financement de plus en plus difficile pour les scale-ups. Comme beaucoup de sociétés tech à cette période, Swile devait passer d’une logique de croissance pure à une trajectoire de rentabilité durable.
« Nous n’étions pas là par hasard, explique Éric, Directeur des Achats et de la Supply Chain chez Swile. Nous étions là pour accompagner l’entreprise sur le chemin de la profitabilité. » Ce mandat clair, transmis directement par le fondateur Loïc Soubeyrand à toute l’organisation, a jeté les bases du rôle stratégique des achats.
Les 100 premiers jours : cartographier le terrain
Comprendre l’existant
La première étape de l’équipe achats s’est concentrée sur deux axes : l’analyse de données et l’engagement des parties prenantes. En collaboration étroite avec la finance, ils ont exploité les données comptables pour reconstruire la cartographie des dépenses et se sont appuyés sur les prévisions budgétaires pour anticiper les dépenses futures.
Objectif : répondre à la question fondamentale « Qui dépense quoi, auprès de quel fournisseur ? » En appliquant la règle des 80/20, l’équipe s’est concentrée sur 80 % des dépenses réparties sur 20 % des fournisseurs, maximisant ainsi l’impact.
La matrice stratégique
En utilisant une méthodologie achats éprouvée, l’équipe a catégorisé les dépenses selon une matrice à deux axes :
Achats stratégiques (fort impact, marché fournisseur complexe) : nécessitent vision long terme et pilotage fin
Achats levier (fort impact, marché concurrentiel) : source immédiate d’économies
Achats goulet d’étranglement (faible impact, marché complexe) : exigent de la gestion de risques et une relation fournisseur suivie
Achats routiniers (faible impact, marché concurrentiel) : adaptés à l’automatisation et à la standardisation
Ce cadre a permis de prioriser rapidement les efforts et de démontrer la valeur : générer des économies visibles pour la finance et gagner la confiance des équipes internes en résolvant des problèmes opérationnels.
Les trois piliers : mieux acheter, moins acheter, acheter moins cher
Mieux acheter : optimiser par l’intégration
L’acquisition de Bimpli a ouvert des opportunités uniques d’optimisation. Plutôt que d’imposer les pratiques de Swile, l’équipe a choisi les meilleures approches des deux organisations.
Parmi les avancées notables :
Consolidation des outils : suppression des doublons (outils de communication, espaces de bureaux) et négociation de tarifs améliorés grâce aux volumes regroupés
Optimisation de la supply chain : internalisation de certains services professionnels auparavant sous-traités
Pratiques durables : mise en place d’une gestion complète du cycle de vie des cartes (programmes de recyclage, production locale en France)
Moins acheter : se concentrer sur l’essentiel
La philosophie du « moins acheter » reposait sur l’élimination des dépenses non essentielles, via une gouvernance renforcée :
Budgets au niveau fournisseur : donnant aux responsables budgétaires une visibilité claire de leurs dépenses
Délégation d’autorité : responsabilisation des managers en matière d’achats, au lieu de centraliser dans des centres de services partagés
Processus de demande d’achat : mise en place d’un système d’approbation en amont, pour des décisions proactives plutôt que des validations a posteriori
Acheter moins cher : l’art de la négociation
L’innovation la plus marquante : Swile a lancé un programme interne de formation à la négociation, destiné à ses 800 collaborateurs, considérés comme des acheteurs potentiels.
La formation, ludique et gamifiée (évasions de prison, scénarios de fin du monde), rend la négociation accessible et engageante. Elle s’articule autour de :
Une phase de préparation : inspirée des méthodes de l’ancien négociateur RAID Laurent Combalbert
Un déroulé en quatre étapes : empathie, courage, négociation, conclusion
Des outils concrets : notamment les questions calibrées popularisées par l’ex-FBI Chris Voss
La technologie comme facilitateur, pas comme contrainte
La philosophie technologique de Swile privilégie la simplicité et l’expérience utilisateur. Plutôt que de déployer des ERP lourds, l’entreprise a opté pour des outils modernes, agiles et intégrables dans les workflows existants.
Un principe directeur : l’outil est au service des personnes, et non l’inverse. Dans une entreprise tech où l’expérience utilisateur est centrale, les processus internes doivent refléter le même niveau d’exigence que les produits proposés aux clients.
Les résultats : de –22 M€ à +36 M€
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : Swile est passé d’une perte de 22 millions d’euros en 2022 à un bénéfice de 36 millions en 2024. Si les achats ne sont pas les seuls responsables, ils ont joué un rôle clé dans les gains d’efficacité.
Mais au-delà du résultat financier, la fonction achats est désormais intégrée à la culture de l’entreprise. Comme le souligne Éric : « Les achats ne sont pas un département : c’est un enjeu qui concerne toute l’entreprise. »
Enseignements pour les entreprises en croissance
L’expérience de Swile offre des pistes actionnables :
Commencer avec le bon mandat : s’assurer d’un soutien clair du top management et d’une mission alignée sur les objectifs business
Privilégier l’accompagnement à la contrainte : les achats doivent outiller et former, pas bloquer
Tirer parti des moments de transition : acquisitions, pivots stratégiques ou changements de financement sont des fenêtres d’opportunité
Investir dans le développement des compétences : diffuser la culture achats et la négociation à l’échelle de l’organisation multiplie l’impact
Choisir la technologie avec discernement : miser sur l’intégration et l’expérience plutôt que sur la complexité fonctionnelle
Conclusion
L’histoire de Swile montre que les achats, bien positionnés et bien exécutés, deviennent un catalyseur de transformation. En privilégiant l’empowerment plutôt que le contrôle, et en considérant les achats comme une compétence organisationnelle plutôt qu’une fonction isolée, les entreprises peuvent débloquer une valeur significative tout en construisant des opérations plus résilientes et plus efficaces.